L’année 2005 a vu naître les premiers fondements de « Manherd », une collaboration artistique tournant autour de la représentation de la foule, l’idée étant de dresser le portrait de ce qui par nature n’a pas de visage, pas de forme définie. Manherd (anglais pour troupeau humain), mot concept formulé et conçu en anglais comme un glissement de sens de mankind (humanité), est le titre générique du travail de SHVink. Ce travail sous-tend une réflexion sur les masses, masses humaines, masses d’images. Des amoncellements de créatures, d’objets, de scènes, de micro-évènements, de détournements, toutes les représentations remontent à la surface du dessin pour former une foule hybride et grouillante : le troupeau humain, assemblage hétéroclite aux mouvements erratiques, être protéiforme qui va en se disloquant et en se recomposant de mille manières. Les compositions des pièces donnent à voir ces formes abstraites, des masses au cœur duquel des trouées suggèrent des profondeurs et des perspectives. Cette impression est renforcée par une confrontation des modes de représentation, une vibration résultant de la mise en contact de zones de grande densité picturale avec de larges espaces vierges integrant des jeux d’échelles lorsqu’un détail est répété démesurément agrandi. Certains indices de l’esthétique « Manherdienne » émanent dés les années 2000 mais ce n’est que cinq ans plus tard qu’une notion plus large et à la fois plus distincte émerge et assume son sens originel. En 2006, une rétrospective exposée par SHVink. et intitulée « Sentence » s’est tenue à Loudun, en France. Les premiers contours pour formuler et définir le monde de Manherd se sont dessinées pendant la phase préparatrice de l’exposition. Ce sont les fondations initiales , la Genèse du projet « Manherd » qui voit le jour, inspirée par le thème historique des diables de Loudun et de ces lieux. L’église Sainte Croix (l’espace de l’exposition en 2006) est transformée (en 1634) en « théâtre » et attire une foule de curieux de la France entière et de quasi toute l’Europe. Les sources, visuelles, musicales ou bibliographiques, variées et débordant le champ de l’histoire de l’art sont passées au laminoir du dessin et mises en forme à la main. Il s’agit de tailler dans la profusion d’images dont nous sommes entourés, de détourner une partie du flot pour irriguer ces créations, de puiser à des sources multiples non pas pour s’étourdir d’une variété gratuite et séduisante mais afin de rendre compte du caractère pluridimensionnel de l’expérience sensible. Les techniques employées sont diverses, «les ratures cohabitent avec les Académies les signes abstraits avec l’écriture, le remplissage obsessionnel avec le savoir-faire...» : transfert, calque, photocopie, dessin brut ou rehaussé de couleurs, couleurs pures. Diversité aussi des supports, sur bois, sur papier ou sur toile, les traits débordent jusqu’aux murs au sol et au plafond.
INAUGURAL MANHERD MURAL - 3d wallpaper print (12x5m)
RE-INVITATIONS - Exposition "Sentence", silkcsreen & mixed media on paper (15x20cm)
Loudun : un théâtre
W. Mulmann le remarquait, il y a «des époques riches en démons». C’est le cas de la période qui embrasse le XVIe siècle et la première moitié du XVIIe. La possession de Loudun ce situe presque au terme d’une longe épidémie, pendant les années mêmes (1632 - 1640) qui voient un grand sursaut de la raison avec la parution du Discours de la méthode de Descartes (1637). Alors, la diablerie s’est déjà subtilisée. C’est une place ou se produisent, s’affrontent, se gesticulent et se verbalisent les tendances de toute sorte. La possession devient un grand procès public : entre la science et la religion, sur le certain et l’incertain, sur la raison, le surnaturel, l’autorité. Ce débat, toute une littérature savante et une presse populaire l’orchestrent. C’est un « théatre » qui attire les curieux de la France entière et quasi de toute l’Europe - un cirque pour la satisfaction de ces Messieurs, selon les termes que l’on trouve en tant de procès-verbaux contemporains. Le spectacle s’installe a Loudun pour prés de dix ans, offrant bientôt un centre à l’édification, à l’apologétique, aux pèlerinages, aux association pieuses ou philanthropiques. Le diabolique se banalise. Peu à peu, il devient rentable. Il est réintroduit dans le langage d’une société, tout en continuant à la troubler. Il joue dans cette histoire le rôle que lui fixent les règles d’une Commedia dell’arte déjà traditionnelle. Toute une évolution se produit. D’abord violent,voici que le diable se civilise peu à peu. Il dispute. On le discute. Pour finir, il se répète,monotone. L’horreur se mue en spectacle; le spectacle, en sermon. Certes on pleure et on crie encore pendant les exorcismes qui se poursuivent après l’exécution du «sorcier» Urbain Grandier, mais cela n’empêche pas de faire la dînette dans les églises pleines de spectateurs.
Michel de Certeau The possession at Loudun, 1970
SOEUR MARIE-JEANNE DES ANGES - mixed media on paper (110x75cm) video
Histoire de la Tension
Après l’histoire de la tension tournons-nous, en conclusion, ver le present et l’avenir. Il est clair, d’après moi, que le problème de la tension ne sera complètement résolu qu’une fois que nous aurons une société parfaite - autrement dit , jamais. D’ici la,sera toujours possible de trouver des solutions partielles et des palliatifs temporaires. Voyons quelques mesures pratiques qu’il serait relativement facile de prendre. Nous pourrions d’abord introduire dans notre système éducatif profondément décevant et insatisfaisant quelques cours simples sur l’art de contrôler le système nerveux autonome et l’inconscient. Présentement, nous enseignons à nos enfants des principes de bonne santé, de bonne moralité et de bien-penser, mais nous ne leur apprenons pas la façon de se comporter pour appliquer ces principes. Nous les poussons à prendre de bonnes résolutions, mais nous ne faisons strictement rien pour les aider à mettre ces résolutions en pratique. L’une des principals sources de tension vient du sentiment que nous éprouvons d’échouer lamentablement à faire ce que nous devrions faire. Si on formait chaque enfant à ce que Hornell Hart appelait l’autoconditionnement, on servirait mieux la cause de l’honnêteté et du bien-vivre que tous les sermons jamais prêchés. L’étape suivante relève de la prophylaxie. Les êtres humains aspirent à la transcendance, et s’enivrer de son poison est l’un des moyens les plus efficaces pour échapper à l’isolement égocentrique et au fardeau de la responsabilité. Tant qu’on se retrouve pour s’enivrer collectivement à des matches de football et d’autres défilés carnavalesques, dans des congrès religieux et au rassemblements de partie démocratiquement organisés, on ne fait de mal à personne. N’oublions jamais, toutefois, que les gourous, les agitateurs, les Hitlers en puissance sont toujours parmi nous. N’oublions jamais qu’il est très facile pour de tels individus de transformer une orgie innocente en un outil de destruction, en une force sauvage uniquement tournée vers l’abolition de la liberté. Pour empêcher ces gens-là de pratiquer l’intoxication de masse au service de leur sinistre objectifs, nous devons être constamment sur nos gardes. Il semble peu probable qu’on aie jamais un monde délivré de ces Hitlers en puissance et de ces adeptes de l’intoxication de masse, dans lequel l’honnêteté et la rationalité ne serait pas menacées. Mais au moins peut-on s’efforcer de le rendre un peu moins dangereux qu’il ne l’est. Nous pouvons, par examples , inculquer à nos enfants quelques notion de sémantique générale. Nous pouvons leur parler des épouvantables dangers du péché intellectuel. Nous pouvons leur donner la chair de poule en leur décrivant les conséquences catastrophiques pour les société et les individu des excès de simplification, généralisation et d’abstraction commis par ces agitateurs. Nous pouvons leur apprendre à vivre dans l’époque présente et à penser de façon concrète et réaliste, en terme de faits observables. Nous pouvons dévoiler pour eux les secrets absurdes et malhonnêtes de la propagande et illustrer nos lectures par examples tirés de l’histoire politique, religieuse et de l’industrie de la publicité. Une telle formation sera-t-elle efficace? Peut-etre,ou peut-être pas. L’intoxication de masse fait appel à des poisons très puissants. Une fois qu’ils sont répandus, des individus intelligents et pleins de probité sont capables de perdre leur bon sens et d’accepter les suggestions les plus extravagantes voire les plus malhonnête. Nous pouvons seulement espérer rendre plus difficile l’action néfaste de ces agitateurs.